Quand la chaleur relève le thé : De Wuyi à Kyoto, la science derrière les notes grillées du thé

Sous la flamme ou le charbon, le thé change de nature. La torréfaction, qu’elle sublime les oolong de Wuyi ou le hōjicha japonais, agit comme un révélateur. Derrière ses arômes chauds et enveloppants, elle cache une véritable transformation chimique où sucres, acides aminés et polyphénols s’assemblent, se dégradent et se recomposent pour créer de nouvelles molécules odorantes.

Le feu comme catalyseur

Entre 100 et 160 °C, la réaction de Maillard s’enclenche : un ensemble de réactions entre sucres réducteurs et acides aminés — le même processus qui dore le pain ou le café. Dans les feuilles, elle génère des pyrazines (80 à 150 µg/g selon le degré de torréfaction), des furannes et des aldéhydes responsables des notes grillées, caramélisées ou boisées. Ces composés volatils peuvent presque doubler entre une torréfaction légère et forte, passant d’environ 200 à 350 µg/g selon les études sur les oolong de Dong Ding.

Chaleur et équilibre sensoriel

Les effets ne sont pas qu’aromatiques : ils redessinent la texture du goût. Une torréfaction légère conserve les fleurs et les herbes fraîches, mais une chauffe prolongée réduit les catéchines de 30 à 60 %, diminuant l’astringence. La L-théanine, molécule clé de la douceur, décline elle aussi de 20 à 40 %. Cette perte d’amertume ouvre la voie à des sensations sucrées, rondes, parfois miellées. En parallèle, les aldéhydes aromatiques et mélanoïdines, issus de la Maillard, s’accumulent : ils apporteraient non seulement de la couleur, mais aussi une activité antioxydante secondaire, quoique plus faible que celle des polyphénols initiaux.

L’art du feu

Roaster un thé, c’est aussi gérer le temps et le repos. Les maîtres taïwanais ou chinois alternent les cycles de chauffe et de refroidissement sur plusieurs jours, parfois à moins de 130 °C, pour stabiliser les arômes et éviter les notes brûlées. Trop de feu, et les notes fumées dominent ; trop peu, et la tasse reste verte, inachevée.

Science, tradition et modernité

Le Japon, avec le hōjicha, a poussé la torréfaction plus loin : au-delà de 150 °C, les feuilles deviennent brunes et libèrent un profil sucré-boisé à faible teneur en caféine. En Chine, les thés de roche de Wuyi allient chaleur et minéralité dans une symbiose que les chercheurs tentent désormais de quantifier. Depuis 2021, plusieurs équipes explorent des méthodes de contrôle thermique pour standardiser les profils volatils — une manière de faire dialoguer la science et le feu.

Bibliographie

  • HUANG, J., et al. “Effect of different roasting levels on aroma and chemical profiles of Wuyi rock tea.” Food Chemistry, 2021, 344 : 128626.

  • LI, Y., et al. “Impact of roasting degree on volatile formation in Dong Ding oolong tea.” Journal of Food Science and Technology, 2022, 59 (8) : 3175–3185.

  • XU, X., et al. “Changes in amino acids and sugars during roasting of green tea and their relationship with Maillard reactions.” LWT – Food Science and Technology, 2023, 184 : 115231.

  • MURAMATSU, T., et al. “Roasting optimization and sensory quality of Japanese Hōjicha tea.” Journal of Agricultural and Food Chemistry, 2024, 72 (4) : 1452–1463.

  • LIN, C., et al. “Thermal treatment and antioxidant properties of oolong teas.” Food Research International, 2021, 147 : 110498.

Suivant
Suivant

Camellia taliensis : le thé sans caféine est-il un mythe ?