Qu’est-ce que l’ivresse du thé ? Science, mythe de la théophylline et vérités sur les effets du thé

Les amateurs de thé parlent parfois d’« ivresse du thé », une sensation décrite comme de la chaleur, une euphorie légère, une concentration inhabituelle, ou même un léger vertige après plusieurs tasses. Rien à voir avec l’alcool : il s’agit d’un vocabulaire propre au monde du thé, mais qui interroge. Est-ce un effet biologique mesurable, ou plutôt une construction culturelle et sensorielle ?

Un concept avant tout culturel

En Chine, le terme cha qi (茶气, « l’énergie du thé ») désigne depuis longtemps la force subtile que certains thés peuvent transmettre, en particulier dans les sessions prolongées de gongfu cha. En Occident, le jargon « tea drunk » s’est diffusé parmi les passionnés pour traduire cette expérience. Mais il ne s’agit pas d’une catégorie médicale : plutôt d’un langage poétique et culturel qui exprime la manière dont le thé agit sur le corps et l’esprit.

La piste de la théophylline : séduisante mais trompeuse

Certains avancent que l’ivresse du thé proviendrait de la théophylline, une molécule proche de la caféine. Pharmacologiquement, elle est bien active : utilisée comme bronchodilatateur dans l’asthme et la BPCO, elle a de véritables effets médicaux.

Mais les chiffres contredisent cette hypothèse. Une tasse de thé contient environ 1 mg de théophylline. En clinique, les doses efficaces se situent entre 300 et 600 mg/jour, visant des concentrations sanguines de 10–15 µg/mL. Dans les feuilles, la théophylline n’est qu’un métabolite de passage, présent en traces. Autant dire que son rôle dans l’ivresse du thé est hautement improbable.

Vers une explication plus nuancée

Plutôt qu’une seule molécule, l’ivresse du thé découlerait d’une synergie de composés :

  • La caféine (20–60 mg par tasse) : stimulant, accroît la vigilance.

  • La L-théanine (10–20 mg/tasse) : acide aminé spécifique du thé, associé à la relaxation et aux ondes cérébrales alpha.

  • Les polyphénols : puissants antioxydants, dont les effets sur l’humeur restent exploratoires.

Ensemble, ces molécules pourraient favoriser un état particulier : une alerte calme, mélange de stimulation et de détente.

L’importance du contexte

L’ivresse du thé survient souvent lors de longues sessions, parfois à jeun, ou dans un cadre méditatif. Le rituel, le rythme lent, l’attention portée à chaque tasse jouent un rôle aussi déterminant que la chimie. Autrement dit, l’ivresse du thé est autant une affaire de psychologie et de culture que de biologie.

Conclusion

Attribuer l’ivresse du thé à la théophylline relève du mythe. Les concentrations sont trop faibles pour expliquer un effet perceptible. L’hypothèse la plus crédible repose sur la synergie caféine–théanine, enrichie par le rituel et l’état d’esprit du buveur.

La science peut quantifier des molécules, mais l’ivresse du thé reste un concept hybride, à la frontière entre données et poésie. Et c’est sans doute ce qui fait tout son charme.

Références

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